Bernard Reichel a 80 ans

Par Myriam Tétaz-Gramegna
Journal « Vie Protestante » de septembre 1981

Bernard Reichel a fêté ses 80 ans. Pour marquer cet anniversaire, le Groupe vocal Michel Hostettler lui a commandé une partition, cadeau offert et reçu tout à la fois au nom d’une amitié et d’une admiration réciproques. Il s’agit de trois psaumes, ou plutôt de fragments des psaumes 102-121 et 112, qui seront créés en l’église de Saint-François, à Lausanne, le 12 novembre ; suivront des motets et un concert pour petit ensemble instrumental, composé il y a quelques années, mais donné en première audition. Ces œuvres diront, en raccourci émouvant, la quête spirituelle et musicale du compositeur.

Bernard Reichel ne cherche ni à frapper l’auditeur, ni à créer du nouveau à tout prix. Il veut dire la beauté, révéler un certain sens de la vie qui doit s’exprimer avec toutes les forces qui sont en l’homme : sentiment et intellect composant cette richesse d’âme sans laquelle il n’y a pas de musique.
Ce n’est pas pour la critique ou le grand public international que Reichel écrit car, dit-il, « On ne vit pas à l’échelle de l’humanité, mais des gens qu’on rencontre ». Et il évoque avec émotion les concerts où il a senti que public, interprètes et compositeur communiaient dans la joie, le sérieux et la reconnaissance.

Les trois psaumes, comme toute l’œuvre de Reichel, visent la simplicité. Un thème de quelques notes, une belle tierce suffisent à former une cellule vivante, riche de tous les possibles ; l’harmonie va les colorer, les développer ; une inflexion mélodique les transformera, comme un simple trait de crayon peut changer l’expression d’un visage.

Reichel aime rappeler tout ce qu’il doit à son cousin, le peintre Bosshard, « un volcan qui explosait, sévère avec lui-même, généreux avec autrui ». Il partagea souvent son atelier parisien, mieux chauffé que sa froide chambre d’étudient ; l’un composait, l’autre peignait. Parfois, Bosshard se mettait au piano et improvisait des valses viennoises. C’est que, dans la famille, on vivait de musique dès l’enfance : trios ou sonates de Mozart, Beethoven, Schubert, symphonies déchiffrées à quatre mains. Les concerts, rares à l’époque, souvent organisés avec des amateurs, étaient un événement, une fête ; on découvrait dans l’émerveillement et l’enthousiasme la vraie dimension des œuvres qu’on avait jouées à la maison.

Ce serait taire une part de la personnalité de Reichel que de ne pas parler enfin de son amour des cathédrales, de la fascination de leurs grandes architectures, qui n’ont guère de secret pour lui, à commencer par celle de Lausanne.

Bernard Reichel vit à Lutry ; il compose, interprète, enseigne. A l’exubérance créatrice de la jeunesse a succédé une exigence de vérité, de nécessité, qui ne veut retenir que les idées musicales assez riches et denses pour se développer d’elles-mêmes, comme organiquement : c’est une sobriété faite d’amour, de gravité et de fidélité à ces paroles posées sur le bureau du compositeur : « ce qui fausse votre être intime, vous ne devez pas le souffrir. » (Kant)